La fenêtre

Traversée

Dans La fenêtre, la symbolique du passage est présente par le fait qu’elle se regarde recto/verso et qu’on puisse voir à travers elle. Les trois éléments que sont les vies rêvées, les vies passées, les vies perdues, inscriptions peintes en blanc sur les différentes faces viennent rappeler les différentes strates de nos vies. Des clefs, un « fantôme », des fleurs séchées sont autant d’indices intimement liés au passé des deux artistes.

 

 

Technique

La fenêtre, EBSB 2010

Ancienne fenêtre d’intérieur

H : 100, L : 76 cm, P : 10 cm fermé,

48 cm ouvert.

Clefs, tablettes d’argile, dessin, textes, pétales séchés, ficelle, impression sur film.

 

 

Vies

 

 

Les vies perdues, les vies rêvées, les vies secrètes. Origine temps achronies miroirs instants, objets, objets, mesure nombre nids naissances secrets, fenêtre, fenêtres, voir vivre mort nids, naissances, lianes, fibres, tresses, fleurs sèches, secrets, secrets, lieu, sensibles miroirs, espace à s’accomplir le temps, voix du centre, au-delà, autrefois toujours demain, texte, écriture, fruits, trace du temps, achronies miroirs instants, objets, objets, vie, marque, terre, terre, tressages, campements, forêt, traces, venir le temps de vivre et ce qui reste, lieu et dire, autrefois toujours demain, voix au-delà, le chant d’un oiseau mort, le chant du vivre, fenêtre sur, le fil du sens, camera, obscure, le temps tresse, le chant d’un secret, objets, objets qui restent, traces rétiniennes du sens.

 

Les vies perdues

Chaque clef ouvre l’atrocité d’un souvenir ; il y avait les verrous des portes, chambres autrefois habitées, chambres de bonne, chambres prêtées, louées ; la chambre est veuve ; clefs perdues, non rendues, clefs symboliques des emplois anciens, clefs symboliques des lieux dont je fus chassé, autrefois, hier, demain encore : toujours. Il ne connut que la haine, à perte de vie. Clefs imaginaires des appartements entrevus. Clefs des vies perdues avec d’autres femmes toujours inconnues, impossibles, infiniment refusées ; d’autres mariages, d’autres défaites ; d’autres angoisses. Ces lieux dont il fut chassé et dont il gardait indéfiniment les clefs, comme un regret, comme la trace intense d’un trésor disparu, une vie, toute une vie ; des paroles dites ; des paroles tues. Ces clefs qu’il vient là signifier : n’ont-ils pas eu peur qu’il revienne, à leur insu ? Dérober quelque secret infâme ? Quelque code ? Quelque secrète liste ? Jamais il ne revint, sur aucun lieu terni. Il garda seulement les clefs, et leur misérable inquiétude. Il a perdu toutes ses vies. Il ne renaîtra pas. Mais il a ouvert toutes les portes, il a délivré tous les sens, lu les anfractuosités du vivre, vécu intensément dans les interstices. Chaque clef porte le nom d’une rue. Chaque clef ouvre une porte d’enfer, une porte de mon âme, une porte sur le désespoir.

 

Les vies rêvées

Sous la transparence inquiète vissée au noir ce sont les souvenirs du futur étalés en pétales ; il y a là tout l’avenir, celui de l’a-nostalgie, il y a là le lit du livre qui ne cesse pas de s’écrire ; il rêvait autrefois de sa vieillesse, la considérant non pas comme une fin mais comme un but d’évidence, où tout serait calmé enfin, où vivre serait tendre, chaud et brun comme le vent de l’automne, où les fleurs fanées voudraient dire encore tout l’amour pour une femme, toute la vitalité solide, et construite contre tous, forteresse du désir et du gésir tout à la fois, où se tiendrait solide ce qui s’effeuille, cet éphémère des paroles du vent, cet éphémère d’aimer toujours, au-delà peut-être des secousses, des abîmes, juste une forme de tendresse tranquille où tout se serait apaisé enfin, ne laissant d’autre souvenir que celui du désir, d’autre possible que de créer encore, d’autre force que celle d’aller plus loin, d’autre justification que d’être intensément à la pointe du sensible.

 

Les vies secrètes

Chaque regard est un désastre pour le présent : il y refonde l’existence entière dans le temps d’un instant ; parfois, il faudrait dormir, mais il a bien d’autres vies à vivre ; il lui faut le faire toujours. Une jeune femme sur un quai, en enfant qui braille ; il plonge son regard dans les fenêtres, vit une existence dans les appartements entrevus, dans les bureaux éclairés au néon, dans les portes dérobées des cathédrales, dans les soupiraux et les souterrains ; chaque rencontre est une interrogation du désir. Du haut de sa haute tour, du haut des tours de Notre-Dame, du haut des collines et de l’ancienne demeure, il s’invente des vies nouvelles, il crée infiniment des vies et des vies, il déploie tous les possibles ; ce sont les fenêtres ouvertes sur le temps ; du fond des pyramides les rois morts accèdent au cosmos ; se fondre dans les cordes du temps ; une vieille femme et son sac de toile grise, une vie nouvelle ; en secret se fomente la création, au fond de la pensée profonde, comme dans une forêt peuplée de fées, de sorcières, d’enchanteurs, d’âmes et d’êtres divers, de la plus humble bestiole, la plus craintive, à la plus monstrueuse et folle ; dans cette forêt secrète et noire quelque chose s’enchante, et Maître alors, il parcourt les sentes, les creux et les collines, et se crée tout un monde, loin du fracas du Jour, dans le subtil silence où se maintient encore, imperturbable et fragile, le caractère inépuisable du murmure.

 

 

EB