Tressages / Traces : photographies

 

Passage du temps

 

Série de 10 photographies de fruits, de fleurs, de têtes d’oiseaux qui surgissent avec force d’un fond profondément noir. Leur léger état de flétrissure sont une expression de la vie qui passe, de maturité.

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Technique

 

EB - photographie numérique

2010

 

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Tressages / Traces

 

 

 

Dans un autrefois dont on retrouve trace, s’y tisse, quelque chose du temps, s’y retrouve, à moins que rien, le lent cheminement. Dans un autrefois non déterminé. C’est l’indétermination là qui domine. La scissiparité du temps. Du temps ovipare dans le tressage. Il y a des femmes qui tressèrent nids et absences. Dans un autrefois dont on retrouve trace on devine, on ne peut faire que deviner. On ne peut s’accorder que du plan d’inférence comme du plan d’indétermination des territorialisations indivises. Couches et strates indétermination du temps.

 

Pour tout dire, une inguérissable trace : c’est l’écriture. Le temps n’y fait rien qu’y reste une parole, celle-ci imprononçable, ravinement des corps et silences, silences toujours, silence des morts. Ici pourrirent des corps, les corps célestes, les corps écrits, ne laisse trace que le souffle des mots. On vous y voit venir les mots dans l’âme.

 

Chaque tablette est pensée dans son territoire de sens. Il y a comme une ultime trace à laisser dans ce tressage de mots l’insoluble ravinement du sens, le ravissement du vent. Têtes venteuses ordonnées vertueuses. Il y a dans l’âme ce vent qui crie, qui vous crie. Pas de patience. Chaque pensée est une écriture du vent. Tablette après tablette la friable argile construit le temple. Nul n’y retrouve d’ordre. Il faut attendre le désir du vent.

 

Castration. Le cou du poulet tranché sous la demande. La cruauté est que la femme demande, tranche, tranche ! La femme ne veut pas voir. Elle devine la tête tranchée, la désire. Elle ne veut pas la voir. Le coq se dessine derrière la tête tranchée, la crête rouge de sens. La faim pousse à l’éclat. Le couteau de boucher s’irise de sens. S’il y a à pourrir, voilà. On ne donnera pas la tête au chien. Une leçon d’homme que de dire la castration, pas faite pour les chiens.

 

Vous diriez les stations, je vous dirais douze petits silences. Douze petits silences vautrés, abîmés, insolites. Solubles dans le sens. Il n’y a que voir. On s’aperçoit toujours qu’il s’agit d’un comptage. Que ce qui compte, en soi, ça compte. Combien de mots. Les morts sont ils revenus dans les mots qu’il écrivirent. Y a-t-il des mots dans l’illisible. De quelles origines peut-on tresser les morts. Vous disiez les stations, je vous ai dit douze petits silences.

 

Dans ce regard que vous avez sur ce qui vous empoigne, voyez ce détail dans le fruit comme il fait trou, comme il est pourriture, comme il n’est pas vous, morsure de l’ensoi (ne dites pas je ne veux pas savoir : je sais), il n’y a d’ordre que du silence, et pourtant ça parle toujours, sans discourir, sans discontinuer, ça parle, ça vous l’origine comme si cela avait du sens, l’origine des mots, la part du corps : comme à l’origine (du verbe) se tient la mort. C’est parce que l’on meurt qu’on parle. C’est pour ne pas mourir qu’on parle. Lorsque je dis : je meurs, c’est pour ne pas mourir. Dans le sens de la friable argile se tient le fruit du sens, et son pourrissement. Il n’y a nul outrage, il n’y a que le temps, comme si, infiniment, infiniment, il voulait faire sens.

 

Très sages traces n’est au délire que de l’insensé. Traits, ça, je trace ! Le désir lui s’oriente d’une étoile. Dès l’ire vous dit qu’il y a quelque raison d’y laisser trace profonde ; inclure le sens dans le réel. Voilà ce que l’on fait dans la tablette d’argile molle. Avec répétition. Avec indécences. Voilà ce que fait femme à tresser des nids pour d’autres départs que naît sens ; s’agit-il d’un savoir ? D’un ça, voire qu’on n’est sens. Délirer, sortir de la trace, du sillon. Nous y serions hors du sens, hors du savoir, hors de la connaissance. Ce qui se tresse, dans ce dénuement d’un autrefois inatteignable, c’est ce nouage trois brins, que ça tienne. Ainsi la toile ici tressée tissée ne tient qu’à ceci qu’un seul brin subirait la coupe et la toile se délierait.

 

Entailles est dans le sens de la friable argile se saisissant semblable de la morsure du temps. Taille dans la masse. Il en est des massacres, Massada, Troie, Carthage. Il est des massacres qui ne laissèrent pas de traces. Entailles dans l’os tendre. Entailles à hurler. Entailles comme signes seuls signes derniers signes cris dans le temps entailles entailles le jour, entailles à la suite marque les dents du temps, et les lunes et les lunes, et les jours et les jours, dans les entrailles du temps se compte le nombre.

 

La tablette d’argile sèche est posée dans sa trace solitaire, cette fois l’empreinte nue révèle quelque chose d’en soi. Ici le signe sort du sens en ce qu’il est même. Même signe. Aucune tablette n’est semblable. Un texte différent s’y dissimule, intraduisible, obscur comme l’ombre du temps qui le préserve.

 

Dans sa coque on inventorie ce qu’il pourrait y avoir de sens et pourtant rien de dit ne fait image dans l’image. Dans sa coque on sent le mot. On attend une idole lente, ne pas dire, mais se tourner encore, attendre les naissances éperdues, les vies passées, les vies rêvées, perdues dans la toile sombre, perdue dans le temps spectral, dans la monstration terrible où la chair, sensible, quitte les os.

 

Le temple est nu. Ouvert. Il attend le mot. Le temple est nu il attend l’idole, il attend. Le temps traverse. Il y a le vent, et tout n’est que poussière de vent. Il se chante des miroirs, pourquoi. Le temple est nu. Le temple est nu plus indécent encore qu’un mot. Le corps du sens, lesté du poids solide ; le corps est nu plus indécent encore. Le temple est nu attend la mort. Le temple est mort d’être nu. Le temple est corps.

 

Naissances troubles anciennes, dans les regards, dans les textes, dans les temps, les femelles ovipares pondent des nids perdus dans les arbres, mandorles de lianes et nids perdus, mandorles de naissances et nids perdus, mandorles où se jouent sans discontinuer les désordres du temps dans le tissage trois brins du sens, sans discontinuer nu discourir, on attend les naissances nues dans le temple du temps, l’idole morte attend, attend, dans le souffle, dans les aspirations, dans le ressac long et lent et violent de l’espérance des corps, dans le reflux lent et long et violent des mots et des morts.

 

EB