Le Roi d'Or

 

Fin de race

 

Le dernier Roi d'Or prend diverses formes dans cette mythologie. Il est le dernier, enfermé dans ses tours, dans sa forteresse, il est celui qui regarde en silence une tisserande faire son travail. Dans un premier temps l'on pourrait dire qu'il est la partie masculine de l'être, de ce moi têtu qui s'exprime dans l'œuvre d'art, comme la Tisserande en serait la partie féminine.

Bien entendu l'on peut rechercher d'autres explications, par exemple des explications personnelles, pour ces deux personnages, qui chacun semblent coller en quelque sorte comme représentation des artistes eux-mêmes.

 

Technique

 

Roi d’Or, argile, feuille d’or ou peinture, EB 2014 - 2017

 

 

Légende des Rois d'Or

 

Han Hathor, roi sombre de la IVe dynastie, dont les travaux secrets, mystérieux et de type alchimique ont laissé penser qu'il pouvait avoir traversé les siècles. Un des éléments qui vient corréler cette légende est que le tombeau semble avoir été retrouvé vide.

 

 

Le Roi en sa demeure.

 

Grandes salles et couloirs, vents et ténèbres, ci-vit le tout premier des Rois d’Or. Il arpente ses lieux, ses espaces et ses tours, les lieux secrets et les lieux ouverts. Dans son manteau brodé il marche, tête haute, il règne sur toutes et tous, et devant lui se baissent les regards.

N’a t-il pas réglé et dirigé la construction des premiers labyrinthes ; il est au fond de sa mémoire, comme le premier des rois, comme le premier des hommes. Ce qu’il sait c’est qu’il se compte comme Un. Il est l’un et seul. Avant lui aucun chapitre ne fut écrit. Après lui tous les chapitres du monde.

Du haut de la loggia sombre grenat, aux colonnes blanches dans le soleil du soir, il regarde la ville et au delà des murs et des remparts.

Je me souviens des forêts au delà des remparts.

Le Roi en sa demeure longe le long couloir grenat ouvert sur le monde, autour de lui volière de filles et de femmes. Elles rient et jouent, elles chantent. Une jeune femme lui parle. Elle lui dit le monde au dehors. Elle lui dit la misère peut-être. Elle lui dit ce qui se passe au Jour. Le roi l’écoute sans maudire. Il avale tous ses mots.

Les mots sont des morts.

Le sol est de tomettes bleues et jaunes.

 

Le Roi en sa demeure se souvient des contes et de l’enfance, et le monde qu’il a créé, et le Jour alentour. Plus jamais il ne va dans le Jour. La vie est en vacance, pour lui perdue. Le Roi va et vient dans le royaume des morts. Plus jamais il ne va dans le Jour, mais il le regarde, du haut de la loggia sombre, et de la plus haute tour.

 

Il est dans la solitude des Maîtres.

 

Le roi tisse le temps et il se pense tisserande. Le roi tisse l’espace. Le roi sent en lui la création. Il est comme une femme qui créerait l’univers. Le roi est la tisserande du monde. Il sait à quel point il doit celer les pensées. Il ne peut être entendu que de lui seul. Il sait qu’il se crée tout en créant le monde.

Une jeune femme lui parle des légendes anciennes, le ramène à son enfance, à la légende de Novgorod. Il dit à la jeune femme qu’autrefois un vieux moine lui lisait la légende de Novgorod. La jeune femme sourit. Elle dit je sais bien, beau doux Sire.

 

Le roi saigne à l’intérieur. Il saigne de la douleur d’être. Il se sera jamais réparé. Il lui faut être claudiquant dans le Jour, alors il ne va plus dans le Jour. Il sait toutes les légendes et les légendes des légendes.

 

Une vieille femme dans les couloirs l’interpelle, poissarde, vagissante. La vieille femme ne sait plus ce qu’elle a fait de son dévidoi. Elle hurle dans les couloirs. On lui a volé son dévidoi. Le roi lui montre un escalier d’entre les murs. La vieille se tait. Elle avance, monte dans l’escalier étroit, disparaît.

 

Le roi descend dans les Grandcaves. Il y a là toute une foule affairée aux affaires de la demeure. Il longe encore les couloirs, et les couloirs deviennent sombres. Dans une pièce est installée une femme seule, dans une grande robe de coton bleu sombre. Elle a le regard bleu et les cheveux noir. D’une main sûre elle tisse sur le métier un drap solide et beau, et les motifs sont dorés sur un fond bleu, et représentent les Rois d’Or. Ce sont ceux du passé, du présent et de l’avenir, dit-elle.

 

Le roi s’assied sur une chaise sculptée qu’on lui apporte. Il fait signe qu’on le laisse. Il veut être seul avec la tisserande.

 

Ils sont au cheucré. D’autres volètent, rapides, aux agis de la maison.

 

Il regarde la tisserande qui ne cesse pas son travail, et qui se tait. Il regarde les mouvements rapides et sûrs de la femme. Il regarde les perles noires qu’elle insère dans la trame.

 

Puis elle dit : je tisse la toile du monde.

 

C’est une femme grande et forte, solide. Elle ne porte ni collier ni bague. Son col seulement est fermé d’une mandorle à croix inversée dans un double anneau, bijou d’or ou de bronze qui brille dans l’ombre. Le roi reconnaît le cruxciforme et se souvient de son âge.

 

Le roi a mille ans.

 

Le roi sait ce qu’il ne faut pas savoir. Le matin il va boire la sève à l’arbre de vie, dans le jardin intérieur.

 

Il reste les heures durant à regarder tisser la tisserande. Il regarde ses gestes et les plis des vêtements sur son corps. Il devine les formes. La peau blanche des seins opulents comme ceux d’une nourrice. Parfois il voit cuisse jambe et cheville par la fente de la robe. Il respire l’odeur de la femme en son travail. Peu à peu apparaissent les Rois d’Or.

Elle sait ce qu’elle est, serve et reine tout à la fois ; reine en son royaume et son corps. Elle sait les effluves du temps et le désir de l’homme. Elle sait son propre désir et elle se tait. Il n’est nul temps pour cela.

 

Souvent la tisserande se déchausse et son pied nu court sur les longues pédales du métier.

Le Roi aime les pieds nus de la tisserande.

Il aime cet ancrage qu’elle a dans le sol, et le Réel.

Il y a comme un espoir dans la présence de la femme, sa force, son évidence d’être.

 

À midi les jeunes femmes lui servent son repas dans la Grandsalle, et il reçoit les ministres, les échevins et connétables, et tous les émissaires qui viennent le voir, et il écoute et rend ses jugements et décisions d’une voix sereine et sombre.

 

Le soir la tisserande le rejoint, par l’escalier d’entre les murs. Et parfois de toute la nuit ils ne se parlent pas et leurs souffles se mêlent.

 

EB