La sorcière

Lianes

 

Cette vidéo fait le lien entre la naissance des nids et le personnage de La Sorcière dans Dédale pour une jeune fille. En effet, c’est elle qui dépose des branchages bizarrement tressés dans le premier chapitre, et que l’on retrouve plus tard. Ce qui a lieu du mystère dans la forêt.

 

Note sur la sorcière

 

Il y avait d’abord une confusion. La sorcière était jouée par Sophie. La sorcière était issue de la façon même de filmer, de notre présence dans la forêt, pendant que je tournais Le fromage de chèvre, sorte de happening improvisé et solitaire, où j’interviewais, tant bien que mal, mon propre fils. La sorcière sortait d’on ne sait où.

La sorcière sortait de ce qui était repérable dans ce film, Le projet Blair Witch, c’est cela que j’avais en tête, une certaine ambiance, mystérieuse. Ce qui se jouait alors sous l’œil de la caméra, c’était cela. Cette femme qui tordait des branches, dans la fabrication d’on ne sait quel objet sacré, sacrificiel. J’étais installé sur le dolmen dans la forêt de Malvoisine. Le dolmen, la pierre plate sur laquelle j’étais assis, donnait au lieu ce caractère sacré, druidique. Ainsi dans la construction du dédale les choses s’enchevêtraient de cette façon naturelle, inextricable. Car il ne s’agissait pas de tirer parti de ce qui se passait. Ce qui avait lieu semblait au contraire tirer parti de l’histoire même qui commençait à se raconter.

 

Technique

 

Vidéo

Tournage en 2009.

EB, 2012, durée : 03:14

 

 

Chapitre 4

La Sorcière

 

La sorcière attend. Dans la forêt elle attend. Elle marche dans le chant des oiseaux. Dans les feuilles mortes. Les brindilles sèches. La sorcière a ramassé les branches. Elle connaît le nom des plantes. Elle a l’œil noir. Elle tresse de ses branches les objets du destin. Il y a en elle comme une source. Elle sait la mort de l’autre, elle ne la dit pas ; elle sait comme c’est inutile de dire ; elle sait comme elle fait peur, comme elle inquiète ; elle laisse les branchages sur le sol, près des grandes murailles ruinées. Elle ne sait pas qui viendra mais elle sait à coup sûr qu’il viendra. La vengeance alors sera certaine ; peut-être la vengeance des arbres. C’est ce qu’elle a toujours cru, toujours dit, toujours su. C’est ce que sa mère disait avant elle. La vengeance des arbres. Elle se souvient de la violence qui s’est abattue. Elle se souvient de l’horreur. Elle conserve son regard dur, son impatience. La sorcière ramasse des herbes.

 

Maintenant il est venu, il est reparti, il a disparu ; il s’est piqué à l’herbe de folie ; tous morts, bientôt ils seront tous morts, dira t-elle ; jamais personne n’entend ce que dit la sorcière ; elle n’est qu’une voix dans le vent, rien d’autre qu’une voix dans le vent.

Il y a longtemps qu’elle marche dans la forêt. Elle en connaît les morts. Elle en connaît les crimes. Elle sait bien où sont cachés les cadavres. Elle sait qui sont les assassins.

 

Il faut prendre le jeu de tarot, un Tarot de Marseille, même neuf ; il faut creuser au pied d’un arbre et l’enfouir entre les racines. Pas n’importe quel arbre, mais elle taira le nom. Il faut l’enfouir dans un tissu violet, le recouvrir ; il faut le faire un soir de pleine lune. Il faut attendre dix jours après la pleine lune pour déterrer le Tarot. Alors seulement les cartes parleront. C’est ainsi que disait la sorcière.

 

Il faut que tu rêves et ton rêve, c’est toi ; il faut que tu m’apportes tes rêves ; tu ne me payes pas, peut-être, alors il faut que tu me payes de tes rêves. C’est ainsi que disait la sorcière.

 

Il faut que tu prennes un pinceau très fin, le plus fin que tu puisses trouver. Et de la gouache, de la gouache toute simple. Et tu retiens ta respiration, délicatement tu peins sur le galet que tu as apporté ; des lignes, des traces ; change de couleurs ; réfléchis intensément à ce que tu fais ; peut-être alors tu sauras qui tu es. C’est ainsi que disait la sorcière.

 

Lorsque tu vas au fond du trou, que tu respires l’odeur de la terre, lorsque tu sens la mort, la pourriture, lorsque tu as peur, lorsque tout s’écroule et que tu prends conscience de ta mort, ne crains rien. La mort n’est rien. Elle est toujours une renaissance. Ne crains rien. Il y a une renaissance. C’est ainsi que disait la sorcière.

 

 

EB