Le Temple

 

Dédale du temple

 

Le Temple, ici en forme de ziggourat comme a pu l'être la Tour de Babel à Babylone, est bâti sur un labyrinthe, comme l'on construisait autrefois les cathédrales et que chacune d'entre elles possédait son propre labyrinthe. Il est surmonté de cinq grandes roues qui viennent symboliser tout à la fois l'élément naturel (végétation, oiseaux, soleils et lunes, nuages), mais aussi spirituel, comme pour valider l'existence même du Temple. Construction votive ou rituelle, il s'agit de la maquette du Temple d'autrefois, celui de la horde première, primitive, reconstruit à chaque escale avec les moyens du bord, et tout à tour abandonnée dans les forêts et les déserts.

À l'intérieur de Temple se trouve un cristal de roche qui symbolise tout à la fois le trésor, mais aussi la pierre philosophale, ce qui est enkysté au fond de nos consciences, et qui peut, une fois révélé, transformer l'être.

Être soi profondément c'est savoir se servir de ce trésor.

 

Sous une lumière tamisée par les cinq roues qui les surplombent, une construction sur pilotis à trois étages s’élève sur l’emplacement d’un labyrinthe qui se devine encore. La structure en lambeaux s’oppose au cristal de roche inébranlable, créant une atmosphère mystérieuse.

 

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Technique

 

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Bois, lianes, cordes, écorces, plumes, tissus, chanvre, perles, cristal de roche.

EBSB 2013

 

 

Le chant de la Grande Prêtresse.

 

Ils sont maintenant en cercle autour du pendule qui trace de son ombre sur le sol la mouvance du monde. Ils sont peu nombreux, beaucoup sont morts durant le voyage qui les a menés jusque là, à travers le pays noir, après les déserts, après les villes dévastées. Leurs yeux creux ne semblent plus rien voir. Ils savent que, bientôt, il ne restera plus rien d’eux, les enfants meurent avant les pères, les mères sont exsangues. Les jeunes filles sont décharnées, elles regardent d’un œil vide. Rien jamais plus ne leur rendra leur grâce. Les garçons sont des souvenirs oubliés.

La prêtresse se lève et chante d'une voix grave. « Moi, Enheduanna, prêtresse d’En, j’ai apporté le fruit sacré à ton service, j’ai porté le panier du rite et chanté la chanson heureuse, puis les offrandes d’obsèques furent apportées, comme si jamais je n’avais vécu. Je me suis approchée de la clarté, mais elle me brûlait. Je me suis approchée de l'ombre, mais j’ai été engloutie dans la tempête. Ma bouche de miel est devenue écume. Mon pouvoir d'apaiser les souffrances s'est alors évanoui. »

 

Le temple est un labyrinthe, au sol il faut suivre le chemin bordé de pics, ne pas déroger à la règle, imprimer sa trace dans la trace. Le temple est une ziggourat ancienne, que l’on déplace au long du voyage, en soi et hors de soi. Le temple est le lieu du rite, le lieu du sacré, le lieu infini où l’on se connecte à son être. On dit le temple cathédral, puis la cathédrale, pour parler du temple principal, celui où se trouve le trône raide de la grand prêtresse.

 

Et la prêtresse chante d’une voix grave et claire.

« Quand pour le taureau sauvage, pour le seigneur, je me serai baignée, quand pour le berger je me serai baignée, quand j’aurai paré mes flancs, quand avec de l’ambre j’aurai enduit ma bouche, quand j’aurai peint mes yeux, quand de ses belles mains mes reins auront été pétris, quand le seigneur, étendu au côté de la déesse, le berger avec du lait et de la crème aura caressé le sein, quand sur ma vulve il aura posé sa main, quand comme son vaisseau noir il l’aura pénétrée, quand comme son vaisseau étroit il l’aura pénétrée, quand sur le lit il m’aura caressée, alors je caresserai mon seigneur, un doux destin je décréterai pour lui, je caresserai le berger fidèle, un doux destin je décréterai pour lui, je caresserai ses reins, la charge d’être le berger du pays, je la décréterai pour son destin. »

 

Ainsi dans l’ombre de l’ombre de la cathédrale de fortune se disent les secrets mariages, et la force du ventre, les garçons sont morts et d’autres, trop jeunes ou trop vieux, ont pris leur place, et il faudra tout de même survivre à ce temps, et que la horde survive, avance sur le chemin d’errance, avance dans le temps infiniment, sous l’œil mort des Rois d’Or et dans le chant immense qui la relie à son passé, au présent, à l’avenir.

 

De sa voix rauque la Grande Prêtresse entame le chant des amants, le chant du désir où elle psalmodie son amour, le chant des chant à travers les millénaires et les écritures, le chant vulvaire des femmes sacrées, le chant d’amour et d’âme au compagnon, au berger, au poète, le chant qui griffe de sens la peau de l’humanité.

 

EB