La Tisserande
Nouage et tressage
La question du tissage et du nouage traverse l’exposition. Tisser, c’est unifier, lier, lacer ou entrelacer, sceller les fils de trame et de chaîne tout comme la parole et l’écriture sont liés aux mots et le chant aux sons et aux notes.
Le travail de la tisserande est représenté par sept métiers à tisser et sept tissages composés de fils et de perles de différentes matières et couleurs qui s’entremêlent comme autant de points et de lignes suggestives d’un univers féminin. À droite les sept coupelles remplies de terres rouges servant aux rituels de lavage des mains des tisserandes.
Technique
Sept châssis en bois, boulons, fil et perles noires,
EBSB 2017
Coupelles : cendres, colle.
La Tisserande seule
Elle noue et dénoue depuis le fond du temps ; elle noue d’âme en âme et de corps à corps ; elle noue et tresse et noue ; elle noue et tisse elle nous tisse à l’âme, perles et corps ; ce quelle attend : cet autre qui passe le soir ; elle noue toujours ; veines et pulsations à nouer à l’autre ; enfances ; elle est la femme et la mère ; les petits jouent entre ses pieds nus ; les petits qu’elle aura ; ceux qu’elle n’a pas eus ; elle est toujours et toujours ce qu’elle est, les pieds ancrés au sol, pris dans la terre du Réel ; elle est ce qu’elle est, solide et vivante, tragique aussi dans l’attente de ce qui se noue et se dénoue du corps.
Elle vit au bas de la Tour, elle tisse et attend. Elle chante ce chant profond qui lui vient des profondeurs du temps. Ce qu’elle sait au fond d’elle même, c’est qu’elle est celle qui accroche celui-là au réel. Il vient la voir, la regarde de ses grands yeux noirs et profonds, profonds comme l’univers sans fin. Il est là, en silence, et la regarde. Elle aime être regardée. Elle laisse voir sous sa longue robe quelques morceaux de peau, et ses pieds nus qui actionnent les pédales de bois clair.
Sait-elle seulement ce qu’elle tisse ; trame de la vie ; le motif qu’elle tisse sur fond noir ou bleu ; toujours même ; vouivre ; ailes piquantes ; langue de feu ; escarboucle.
La pierre grenat et ses huit feux au centre du dessin ; celui-ci toujours répété ; elle ne sait pas pourquoi le Maître de céans ne parle pas, toujours coi devant elle à la regarder, à s’approcher ; à venir respirer son odeur femelle. Elle voudrait sans doute qu’il parle mais il se tait.
La tisserande seule tisse quelque chose qui la raconte elle-même et raconte tous les autres. La trame de sa propre vie et de la vie des autres, ceux qui vivent dans le Jour, ceux qui vivent dans la forteresse.
Elle se souvient de scènes terribles de sa jeunesse, scènes de violence. Elle se souvient aussi du futur, du livre où elle sera écrite, où son tissage laissera trace pour une certaine éternité.
EB